Tuesday, July 19, 2011

Frankfurt 2012...

Challenge Roth - Le récit fleuve (en français)


La course

Challenge Roth est l’une des courses les plus réputées au monde. Il y a Hawaii (finale des championnats du monde Ironman), Frankfurt (Ironman également) et Roth (qui n’a pas le label Ironman, mais Challenge).
Ce qui a fait sa réputation, c’est son publique, sa côte (Solar berg) à l’ambiance identique à celle des grands cols du Tour de France, son organisation impeccable, et son parcours, rapide.
C’est donc 3,8km de natation, dans un canal (une seule boucle), 180 km de vélo (2 boucles) sur routes fermées, et un marathon (42,2km) en une seule boucle le long d’un canal.

La préparation
Pas de clavicule cassée cette année, c’est un bon départ. Par contre, après la saison hivernale orientée natation (France Masters avec le p’tit frère en mars), la reprise fut compliquée.

En effet, les 4 à 5 h de vélo hebdo pour les trajets maison / travail / piscine ont donné une bonne base. Mais en passant au focus triathlon, j’ai certainement repris le vélo de façon trop brutale.
Résultat : douleur au genou.
Et de repos forcé, en piqures, en radio, en RDV toubib ou autre IRM, les semaines ont défilé sans pouvoir faire du vélo.

Bref, un trou non négligeable (tant sur le vélo qu’en volume total) de 8 semaines en avril et mai.

C’était donc une préparation un peu en vrac. Je savais donc qu’il fallait jouer de prudence et gérer les efforts encore plus que lors de mon premier Ironman.

L’organisation
Nous sommes partis jeudi matin tôt, Eric, pour sa sixième course du type, Guillaume pour sa première tentative sur la distance, et Olivier, comme Cheer leader / support technique, photographe, chauffeur, manager…
Logés chez l’habitant en bed & breakfast, à 8 km du départ de natation, dans un petit village.
Un Trafic 8 places pour loger nos sacs, nos machines de course et tout le bazar nécessaire (ou potentiellement utile).
On retrouve sur place des amis du Japon : Vanessa & Bevan, un couple d’australiens, Alex, un grec à Tokyo, et Benjamin, un copain de sport-étude, passé pro en triathlon, retraité, et qui fait son come-back dans le sport.

L’avant course
Pluie, pluie annoncée pour dimanche. On se prend d’ailleurs un méga orage jeudi soir.
Récupération des dossards, sans problème. Tout est comme prévu.
Entrainement de natation, sans problème. L’eau est bonne, le parcours simple.
Entrainement de cyclisme, sans problème (les vélos fonctionnent bien). On fait une partie de la boucle, avec la bosse la plus sévère (pas vraiment sévère en fait).
Entrainement de course à pieds, sans problème. Sur une partie du parcours.
Pates à gogo, y compris une pasta party (3 000 à 4000 triathlètes & affiliés à gaver 2 jours avant la course). En fait, c’est surtout un apport régulier de sucres lents que l’on cherche à faire.
Le seul problème pour moi, c’est la digestion… Gastro, légère à partir de vendredi. L’alimentation ou autre médicament ne font rien. De plus, la pharmacie donne quelque chose, qui est en fait pour l’intolérance au lactose… C’est ballot !
Les choses se compliquent (se liquéfient) encore samedi et tous les magasins sont fermés…
Va falloir faire avec !

La course

Levé à 3h pour les braves, certains mangent des « gâteaux » faits spécialement pour l’épreuve… cuit la vielle au micro-onde, il a un goût redoutable. Je préfère du pain blanc et mes céréales habituelles en espérant que l’estomac tienne.
4h45, on part vers le parc à vélo (lequel était déposé la veille). Nous sommes dans le flux continu de voitures, c’est blindé de monde. Déjà.
En marchant vers le départ, on croise un athlète faisant sa pause. Sa pause cigarette !! Olivier l’a revu 5 mn avant le départ, il s’en faisait une autre !
Eric part à 6h30, moi à 7h, et Guillaume à 7h25. D’où une gestion du temps un peu différente pour tous. C’est effectivement un départ par vague, de 300 à 500 personnes.

 En arrivant, je suis obligé de faire un passage aux toilettes… Le bide est plié. Je fonce à la tente médicale. Ils me donnent des gouttes et me conseillent de bien boire pendant la course. J’espère que cela va « tenir ».
Je gonfle les boyaux, à 9,5 bars, collent mes barres énergétiques directement sur le vélo (pas de scotch, ça colle tout seul). Au fur et à mesure, j’enfile le costume du jour. Short cycliste qui fera la journée. Le maillot du club, espèce de débardeur à poches très coloré !
6h25, Guillaume et moi enfilons la combinaison de natation jusqu’à la taille et filons voir le départ de la première vague : pros & Eric
Il y a des montgolfières, du monde partout, de la musique à fond, l’ambiance est blindée.
3 mn avant le départ. Je cherche Eric dans l’eau. Je ne le trouve pas.
1 mn est annoncée. La journée va commencer.
BANG ! C’est parti, comme des brutes épaisses. Benjamin est certainement aux avant-postes et Eric commence son épreuve.
Je dépose mon dernier sac : il a un sac vert pour nos habits « civils » et le shampoing pour après l’arrivée. Il a aussi un sac bleu donné la veille avec les affaires de course à pieds, et le sac rouge pour les affaires de vélo. Il y a juste mes sandales dedans, mais j’en ai besoin pour mettre la combinaison après la natation. J’ai tout mis sur le vélo : casque, ceinture avec le N° de course, les chaussures, déjà sur les pédales, les lunettes.
6h50, je boucle le haut de combinaison et pars me mettre aux premières loges sans le sas avant d’être autoriser à aller dans l’eau. J’ai « besoin » d’être aux avant-postes pour 2 raisons : je dois rincer mes lunettes avant d’aller dans l’eau (et on n’a pas accès à l’eau dans le sas) et je veux surtout me mettre devant au départ. Je ne veux pas à avoir à me battre pour me frayer un passage…
Agglutiner les uns contre les autres dans le sas, je tente de m’échauffer les épaules (tourner les bras). Au début, ça va. Mais je finis par mettre un coup au menton de mon voisin. Oops. Désolé.
Alex me retrouve. C’est son premier. Il est radieux, mais on peut lire une certaine tension sur son visage.
Ils ouvrent la barrière. Nous passons sur un tapis qui détecte notre puce électronique, c’est elle qui permettra le chronométrage individuel, malgré toutes les vagues de départ. Je file à l’eau, rincer des lunettes, mettre les lunettes, mettre le bonnet, et plouf, il faut y aller.
Je nage tranquilou vers la ligne de départ. 70 m d’échauffement. Je me mets en plein milieu. Je veux pouvoir contrôler qui part quand…

De nouveau, Alex me rejoins, juste derrière moi. Je suis assez content de mon placement, puisque je peux m’accrocher au zodiac, d’où les volontaires vont soulever la ligne de départ après le bang.
J’alterne du footing aquatique et du repos pour garder le palpitant au bon niveau.

1mn, whoo-whoo ! Le cardio est branché, j’ai le doigt sur le bouton, prêt à déclencher alors que l’autre main est accrochée au bateau. Cela me fera un bon appui pour m’élancer.
BANG ! Appui chrono, tirage de bateau, et c’est parti.
La Natation
Je rentre dedans (veut dire que je sprinte). Après 30 sec, je fais le point. J’ai déposé tout le monde autour de moi, c’est bien. Je vois un gars à gauche, mais il ne pas l’air très vivace. Par contre, il y a un gars à droite. Et il envoie le bougre. Il reste proche de la rive, alors que la corde est à gauche (le canal tourne un peu). Il sait quelque chose que je ne sais pas ?
Je continue, en commençant à poser ma nage, respirant tous les 3 + 2 temps. Cela me contraint à maitriser l’intensité.
Peu après, je constate que le gars de droite que je considérais comme poisson pilote (me mettre dans ses pieds pour qu’il fasse tout le travail) est en train de décrocher. C’est moi qui vais devoir faire le boulot… devant la vague de bonnets bleus.

Peu importe, 800 mètres à faire avant de faire demi-tour, puis 2km pour le retour, dans le sens du léger courant, et un ultime demi-tour pour revenir vers l’arrivée et boucler les 3800m. L’eau est calme, je suis seul devant.

J’essaie de ne pas prendre trop d’eau, privilégiant la cadence.

Au bout de 700m, je commence à rattraper les dernières féminines. Pas de difficulté, elles ne sont pas nombreuses.
Je vérifie derrière, ai-je un troupeau attaché aux pieds ? Non, j’ai fait le trou, le premier bonnet bleu est loin.
Virage à la première bouée. Entourée des bonnets roses, des filles.

Je reprends, tentant de prendre la corde (extérieur). Rapidement ce sont des grappes de nageuses et la navigation devient plus difficile. En effet, entre 2 regards vers l’avant, les positions changent énormément. Beaucoup d’entre elles doivent faire plus que les 3800m !
J’arrive même à prendre un coup de pied dans la poitrine : ça a dû booster la miss vers l’avant.
2 km, c’est long. Mais cela passe finalement vite : navigation vers le départ, navigation autour des obstacles, observations des volontaires sur les bateaux au milieu, des spectateurs sur la rive ou les montgolfières. Et puis il faut penser à la technique. Respirer tous les 3 puis 2 temps, 3 / 2 / 3 / 2… Conserver le tempo des bras. Pas trop penser à la douleur dans l’avant bras gauche. Douleur bizarre…
J’arrive à la hauteur du départ. La fin est proche. Passer sous le pont et faire demi-tour un peu plus loin.
Je rattrape des bonnets jaunes, partis avant les féminines. Certainement les vétérans. Super, je pourrai dire : j’ai doublé des femmes et des vieux !
Plus j’avance et plus les paquets sont denses. C’est vraiment un gymkhana. On n’est pas les uns sur les autres, mais je dois sans cesse faire des ajustements pour ne pas monter sur quelqu’un ou me prendre des coups.

Coté cardio et muscles, tout va. Le fait de me forcer à respirer à trois temps est efficace pour rester « sobre ». Dernière bouée, passée au contact… et c’est la dernière relance. Je ne regarde pas s’il y a des bonnets bleus à proximité. Je suis loin devant.
Je tente de reposer la nage, mais c’est assez le bins maintenant. Je dois lever la tête quasiment à tous les mouvements. Je prends l’extérieur pour avoir de l’espace.
Je passe de nouveau sous le pont. Il reste 100m. Est-ce que je remets des jambes ? Non. J’aurai le temps de remettre la circulation sanguine en marche : ce n’est pas un sprint ou un CD.


L’entonnoir, ou les lignes d’eau nous font converger. 20m à faire.

J’arrive au bord juste derrière quelqu’un. Il y a 8 volontaires dans l’eau pour nous aider à sortir.
Je tente de prendre à droite pour doubler ce bonnet rose, mais le volontaire me ramène au centre et me redresse. Dommage, c’est plus rapide de nager vraiment jusqu’au bord. Je sors donc au pas de course, lunettes sur le front, le chrono TOP, je n’arrive pas à trouver la corde pour la fermeture de la combi, je cours toujours, ça y est, je tire. Je démoule le bras gauche d’un coup, le droit, juste à temps pour ramasser mon sac : 1001, facile à retrouver (rangés par groupe de 10 N°).

Je file dans la tente. 50mn et des brouettes. Mouai, ça va. Un volontaire prend le sac et le vide alors que je m’assois sur un banc pour ôter la combi.
Nein ! Inutile de vider le sac (sandales), je n’ai besoin de rien. Je me bats au niveau des chevilles. Je choppe même une crampe (temporaire) au mollet. Le gars vient m’aider, il tire sur la combinaison. C’est démoulé. Je veux ranger la combi dans le sac (on doit le faire nous même selon le règlement…) mais le gars prend en charge. Danke ! Et je file. Oops, les lunettes et le bonnet de natation, toujours sur la tête !
Je reviens 5 mètres, redonne le matos et pars pour de bon.
Un verre d’eau en sortie de la tente, je cours vers la machine ! Un panneau publicitaire m’aide à tourner dans la bonne allée. Je surveille les N° sur les panneaux pour aller vers le vélo. C’est là.

J’enfile la ceinture avec le numéro de course, mets les lunettes, le casque, mets le sac de banane séchée dans la poche et je suis bon.
Je sors le vélo et on court ensemble vers la sortie.

 
Je passe sur un tapis de chronométrage et continue en courant vers la sortie. Je me fais interpeller par un arbitre. Qu’est-ce que j’ai fait ? Je regarde. Il répète, les spectateurs disent la même chose… Je comprends rien, je continue. Ils gueulent plus fort. Je percute. Je peux déjà monter sur le vélo. Hop.


Le vélo
Je pose les pieds sur les chaussures et commence à y aller. Beaucoup de trafic à la sortie du parc. Il faut prendre son mal en patience. On tourne à droite et nous passons sur le pont. Comme tout cela était en montée, j’ai conservé les pieds sur les chaussures (cf. expérience du Tri de Versailles). Je les enfilerai à la première descente.
Et voilà, le pied droit. Je verrouille. Le pied gauche. C’est bon. Je peux rouler sereinement. Virage à gauche et c’est le sentiment de vraiment attaquer le parcours.

Ici, pas de respiration pour contrôler l’effort, mais le cardiomètre. Je dois garder mon rythme cardiaque autour de 127 battements par minute. Au second tour, si je suis toujours frais, je peux monter un peu, 130. Cela est en stabilisé. En côte, il faut juste limiter l’effort.

Rapidement, je réalise qu’il y a pas mal de filles sur leur vélo. Celles qui nageaient bien sont là. Et en suivant à distance (10m réglementaires), je réalise de l’aubaine. Je vais pouvoir me caler derrière et laisser faire l’allure.
Du coup, le rythme cardiaque retombe rapidement et j’atteins rapidement les 127. Cool.

10km enfilés sans les voir. Je regarde le chrono, histoire de vérifier la vitesse. 20’30. Hmm, pas terrible, c’est moins de 30 km/h, vitesse moyenne que je cible aujourd’hui. Pas grave, c’est le début.

J’alterne de filles, une allemande ou une scandinave, mais je me débrouille toujours pour suivre un train. En parlant de train, il a quelques fusées qui doublent. Des gars de la vague d’Eric ou juste après qui n’ont pas bien nagé. Ils ont passé leur point faible et partent comme des balles.

Je suis parti à vide en termes d’hydradation, 30 à 40 cl d’eau. Aussi, je ne peux pas rater le premier ravitaillement, au km 17.
J’arrive, prends une gourde d’eau et une de boisson énergétique. Le stand est tenu par des militaires. Intéressant les 2 à la fin qui sont au garde à vous…

20km, je fais moins de 20mn ce coup-ci (pour les 10km). Je vais plus vite que 30 km/h. Cela confirme bien qu’entre mon rythme cardiaque pile comme il faut, et « l’allure de fille », je suis là où il faut.
Les quelques bosses passent sans problème, sauf que je dépasse mes compagnes… Soit elles me reviennent dessus sur le plat, soit j’en trouve d’autres. Les gars enquillent trop pour moi.
Je garde bien mes distances. 10 m. En effet, si un arbitre passe (et ça défile régulièrement sur leur moto) et voit un athlète trop proche du cycliste le précédent, c’est un avertissement ou un carton rouge. Le carton rouge égale une pause forcée de 8 mn… Je ne veux pas jouer à cela.

On passe sur une belle bosse et je perds mon « entraineuse »… Je me cale donc derrière un gars qui semble avoir une allure raisonnable. J’arrive à rester autour des 127. Tout est bon. Je regarde le cardio tout le temps. J’ajuste le braquet en fonction, quitte à ralentir si nécessaire. C’est le prix à payer pour assurer la fin de journée. Rappel, il y a un p’tit marathon après les 180 km…

30km, j’ai maintenant qq minutes d’avance sur les 30km/h planifiés. C’est bien, même si ce n’est pas l’objectif.
Je réalise que je vais arriver à Greding, la montée la plus raide du tour. Bizarrement, j’avais cela au km 70 en tête. C’est encore une bonne nouvelle.
Mon collègue semble être irrité de me voir derrière. Pourtant, je suis à distance. Les arbitres passent, pas une remarque. Il se retourne régulièrement.
On arrive sur le parcours que nous avions reconnu vendredi. Je vais le gérer.

Je reconnais l’approche de la montée. C’est là qu’un motard (arbitre) arrive. Pas de souci, sauf que mon gars ralenti ! Et c’est ma responsabilité de garder la distance. Je me relève donc de la position aéro et me mets en roue libre. Je regarde l’arbitre. Je comprends pas ce qu’il fait le gars.
Il s’arrête en fait. Ouf, cela simplifie le débat. Et l’arbitre file.

Et voilà la bête, j’ai perdu un peu d’élan avec le zozo, mais ce n’est pas grave. Je bascule sur du petit braquet. Je monte, au train. L’idée, c’est de ne pas se mettre dans le rouge. Et ce qui est amusant (pour moi), c’est que je rattrape du monde en faisant de la sorte. Les bolides qui m’ont passé qq minutes plus tôt, avec les disques pleins (synonyme souvent de bons cyclistes), sont debout sur les pédales et semblent forcer comme des mules…
Le « mur » est passé, c’est le faux plat prononcé maintenant. Même punition. Ravitaillement, je prends des choses mais ne consomme pas. En effet, je suis autour de 140 bpm, et le fait de boire ou manger fait monter de 5 à 10 bpm supplémentaires. Je passe la bosse et mangerai après.
En attendant, je salue les supporters, comme depuis le départ. Familles, sportifs avertis, ou fêtards matinaux (la bière est déjà sur les tables), il y a du monde partout. C’est génial.

Voilà, c’est fait. Une fois en haut, j’attends de repasser sous les 130 bpm avant de boire. En gros, c’est manger toutes les 15 mn, boire toutes les 5mn. Plus si besoin. Et j’alterne les goûts pour ne pas être écœuré par le sucré. Comme le bide est toujours un peu en vrac, je tente la banane, prise dans la montée. Je dois avoir l’air malin depuis 2 ou 3 km avec ma banane à la main !
Ca descend et j’en profite donc pour me restaurer et je me redresse avec les virages en épingles de cette superbe descente. Je réalise que cela me décoince des bulles de gaz (renvois). Cela soulage. Je note et le refais régulièrement. Tout ce qui peut contribuer au confort gastrique est bon à prendre aujourd’hui !

Malgré cette gymnastique, je rattrape, à ma plus grande satisfaction, du monde dans la descente. Sauf qu’encore une fois, ce sont des filles. Rien de glorieux après tout.
Peu importe, cela me donne le train à suivre. Il y a une américaine, une autrichienne et une allemande. Individuellement, elles sont pas très régulières, mais cela me permet de pauser mon rythme et mon cardio.

Je regarde le temps, les 10 derniers km devaient être plus courts que prévus, j’ai gagné 3 ou 4 mn sur le plan… Tant mieux. Mais là encore, ce n’est pas le souci, tant que je suis un poil plus rapide que les 30 km/h.

J’encourage les fusées quand elles sont françaises ou English speaking : on a le nom et le drapeau du pays sur le dossard. Ce dernier doit être sur l’arrière en vélo.
Ou parfois je ne peux pas m’empêcher une petite blague… L’allemand, bien costaud, qui s’enfile un pain au chocolat sur le vélo, je lui dis que ce n’est pas légal… On rigole.
L’américaine envoie fort sur le plat (je ne peux pas la tenir sans sortir de la zone). Je la félicite de son rythme quand je la rattrape dans une côte.

Les bosses, les descentes passent bien. La seconde partie de la boucle est plus roulante que la première. C’est du bonheur.
Et on rentre sur Hipolstein. Là où il y a la Solar berg, la côte la plus mythique de la course.

On doit être à 1 km, et c’est déjà blindé de monde. On inspire fort, il faut absorber le maximum. Je mets le cardio et la course de coté pendant 5mn.
Virage à droite, et la vue est incroyable. L’avenue, bordée de spectateurs derrière des barrières, se réduit en petite route. Et là, plus de barrière, les gens sont au milieu de la route. On ne voit quasiment plus le bitume.
On est obligé de lever le pied pour attaquer la côte : il n’y a pas la place pour doubler. 1 seul vélo à la fois, avec des gens qui hurlent à gauche, des gens qui hurlent à droite, des enfants qui veulent faire « High 5 », des cornes de brumes, des gens qui font la vagues, etc… C’est dingue !
A peine la place pour passer. On roule au pas. A mi-parcours, calé derrière l’américaine, on a un peu plus d’espace. J’abuse en faisant signe que je n’entends rien. Et hop, les encouragements repartent de plus belle.
J’attends « Allez David ! ». C’est Olivier, sur la gauche. Incroyable de le voir, dans toute cette foule.

Du bonheur pur.


« C’était cool ! » je dis à l’américaine. Elle n’en revient pas non plus.

Le business reprend. Nutrition, garder l’espace, surveiller le cardio, je reprends le rythme. C’était vraiment trop cool.

Je reviens vers le départ, le canal de la natation. Il y a beaucoup de monde. Je reconnais la boulangerie où nous avons déjeuné quelques jours plus tôt avec le gang de Tokyo.
Voilà la première boucle bouclée. Et j’avoue être plus frais que je ne l’anticipais. Encore quelques kilomètres, et je serai à mi-parcours. Je vais pouvoir prendre quelques pulsations supplémentaires, en passage de 127 à 130. Ce n’est pas grand-chose, mais cela sera agréable (vs. rester en sentiment de sous régime).

90km, que dit le chrono ? 2h45. Super, j’ai de l’avance sur le plan. 2h45, fois 2, ça fait 5h30. 5h30 !!! Zuber ! Si j’arrive à maintenir l’allure.

Du coup, cela me renforce dans l’idée que je peux tourner le bouton du rythme cardiaque un poil plus fort. On va tenter de rouler autour des 129 ou 130 bpm ce tour-ci.

Enfin, on va déjà retrouver des filles pour l’allure.
C’est ce que je fais dans les premiers km de la seconde boucle. Mais dès les premières montées, je les décroche.

C’est d’ailleurs dans une montée que je retrouve mon ami allemand, le costaud qui semble peiner un peu. Après son pain au chocolat, je lui recommande de prendre un hot dog et l’encourage. Il rigole et je poursuis mon chemin.
 
Autre distraction, les photographes. Amateurs ou professionnels, je tente de les repérer et faire un signe ou autre. La plupart est en ville, parmi les tables de « supporters », bière & breztel à la main. Mais certains sont au milieu de nulle part, avec du matos de dingue (télé-objectif ou flash déporté).

J’ai quand même un peu moins de pêche pour saluer les supporters même si je tente toujours de taper dans la main des petits qui la tendent en espérant un peu d’attention.
De même, au milieu des champs, on trouve parfois un ou 2 garçons qui recherchent les gourdes vides. Je jette la mienne quand cela est possible.
En effet, j’assure un roulement avec la gourde à l’avant du vélo. Je la remplis d’un mélange d’eau et de boisson énergétique. Je prends une gourde de chaque et les range derrière la selle. Je peux ainsi ajuster le goût de ce que je bois toutes les 5 mn, à la paille. Si c’est pas le confort, ça !
J’utilise l’eau pour me laver les mains, de temps en temps. En effet, manger des barres énergétiques, du gel ou autre banane me laisse avec les doigts collants.

Je me retrouve un peu seul, plus de fille à l’horizon… Par contre, il y a une paire de gars à l’horizon. Plan A, je reste seul en attendant le prochain train. Plan B, je vais les chercher.
Si je les vois, c’est que je suis déjà en train de les rattraper. Allons !

Sans casser l’allure, je les rejoins. Il y a un allemand, Karl. Je me cale à distance. Le rythme est bon, 129 ou 130 bpm. Ca roule. Plus fort qu’au premier tour. Enfin ! C’était vraiment calme ce premier tour. Je me fais plaisir.
Le vent se lève, je reste bien en position aéro, bien calé à 10 m de Karl.

Et nous revoilà au pied de Greding, la belle cote. J’y rattrape disc-man, un américain affligé un disque plein comme roue arrière. Malgré cet équipement de rouleur chevronné, il peine dans la montée. Je le passe, en cadence. Comme au premier tour, certains mangent alors que l’on est en plein effort. Je continue à passer du monde. Le cœur monte un peu plus qu’au premier tour. Je commence à sentir une certaine fatigue. Il me reste approximativement 60 km. Un peu moins de 2h à rouler. Après, la course à pieds, enfin. Il faut que je conserve un bon état de fraicheur.

Quelques faux-plats, montants ou descendants et je retrouve la grande descente. Ca fait du bien d’être en roue libre, de se redresser un peu (ça m’aide à la digestion & co), je m’étire un peu, dos & jambes.
Retour sur le plat, et la réalité. Le ricain me repasse. Et bientôt, c’est Karl qui revient dans un groupe. Est-ce que je peux suivre ? Mouai.
C’est reparti.
Je commence à pister les panneaux kilométriques… Quelqu’un a envie de descendre du vélo ! J’ai le dos qui commence à dire « assez ». Et malgré l’alimentation prise dans la descente, je me sens émoussé. Pourtant, en faisant les calculs, je roule encore mieux qu’au premier tour.
Faut-il que je lève le pied ou que je reste dans le même effort ?
Je suis coincé entre l’envie de faire 5h30, soit mieux qu’à Frankfurt (alors que j’étais mieux entrainé en vélo) et revenir au rythme du premier tour pour me refaire une santé.
Je lève le pied. Je décroche de Karl. 30km pour en finir.
Je m’efforce de manger, rester en cadence. Cela commence à être long… Aurais-je fais le mauvais choix ?

C’est au tour de mon allemand costaud de me chambrer. J’aurai besoin de 2 hot-dogs selon lui. Et il file.

C’est au tour d’une fille de me passer, maillot vert. Nom portugais ou similaire, mais le drapeau est plutôt scandinave. J’enquille. Je prends ce wagon.

On revient sur le Solar berg. Ca commence à sentir la fin.
On y arrive, toujours beaucoup de monde, même si c’est moins qu’au premier tour. Je gravis la côte, on a même la place de doubler cette fois-ci. C’est ce que je fais.
Pas vu Olivier ce coup-ci. Il a dû filer vers la course à pieds.

Je roule parfois redressé, en ai marre d’être en position aéro. Ma copine revient et je reprends le train. Je reste là jusqu’au bout, c’est ce que je décide.
Elle a un bon rythme et je fais le compte à rebours pour le finish du vélo. Manque d’entrainement, trop forcé ? J’ai parfois des moments de doutes.

On repasse enfin devant le start, la natation. Encore un peu, et nous sortirons de la boucle, direction le centre ville. On avait repéré ce panneau, indiquant la bifurcation. Que du bonheur.


 Depuis une heure, peut-être parce que je m’écoute, je sens que j’ai le ventre barbouillé. Les gouttes du matin auraient terminé leur effet ? Il va falloir que je fasse une escale technique…


La route vers la transition est superbe : du billard légèrement en descente… Ca donne des ailes.
Je reconnais l’endroit, nous y sommes.
Comme la miss, je défais les chaussures, pose les pieds par-dessus, pour une descente rapide du vélo.

On vire à droite, vers le parc. C’est comme un péage, plusieurs volontaires nous attendent en bout de ligne droite. La miss reste à gauche, je prends à droite.
Je descends de la machine, pieds nus, chrono, défait le casque, l’accroche au vélo que le volontaire tient. Danke ! Et je file au trot. 5h25. 5h25. C’est énorme. Je suis allé plus vite au second tour, 2h39 vs. 2h45 au premier !

Dédale de sacs numérotés… 1001, 1001 ? J’avance, trouve mon sac et file vers la tente.

Une volontaire m’invite vers un banc, en prenant le sac. Je m’assois, elle a déjà vidé le sac. Elle range, chaussure gauche, chaussette, … J’enfile le manchon de compression (mollet), chaussette et première chaussure. Pendant ce temps, elle attrape un spray de crème solaire. Elle fait ça rapidement. Je lui demande une seconde couche, sachant que la crème mise avant la natation n’est plus efficace et que je commence à avoir des couleurs. Elle s’exécute alors j’enfile le reste.

Lunettes, et elle m’écrase la casquette sur la tête. Danke shoen !
Je sors de la tente et fais l’escale nécessaire : quick drop, comme pour les véhicules électriques…
Je regarde le chrono tourné. Pas facile de faire rapide…

C’est reparti, j’attrape un verre d’eau. On me rappelle de mettre le dossard devant. Et en avant pour le marathon.

Que ça fait du bien d’être debout. Il fait chaud mais pas trop. Le soleil cogne bien. Je vais apprécier la casquette et les lunettes ! Maintenant, c’est l’allure. Tout est dans le travail d’allure. Ne pas partir trop vite, pour pouvoir accélérer, comme sur le vélo.

140 bpm, c’est l’objectif ou plutôt la limite que je me donne pour la première moitié. Je suis tantôt à 135, tantôt à 142. Il faut que je stabilise. Je sens juste que les jambes doivent se remettre en place. Après 180km de vélo, il faut un peu de temps pour retrouver de bonnes sensations de course à pieds.

On file vers le canal. Je suis dépassé, et je double. Mais ici, l’objectif, encore une fois, c’est de limiter l’effort. J’irai bien plus vite si je m’écoutais, mais la route est longue.
Je tape la causette avec un allemand. Il pense, comme moi, avoir poussé un peu trop en vélo.

Je ramasse un gel Powerbar, tombé à terre. C’est opportun. J’ai du mal à avaler le gel proposé au ravitaillement. Je ne sais pas si cela qui m’a donné la gastro il y a 2 jours… Du coup, c’est une aubaine d’avoir autre chose. J’ai aussi un tube à la cacahuète, pour changer du « tout-sucre ». De quoi tenir un bon moment.

Il y a un marquage tous les km. Je ne regarde pas au début. Uniquement le cardio, il faut absolument que je me calme, et me cale comme il faut.
Rapidement, on rejoint la forêt.
UNICEF avait un stand au « village »… Contre une donation, on pouvait faire un panneau d’encouragement. Et ils sont là, tous les 5 m. « Super Daddy », « Go N° xxxx »… Plein de langues, des dessins d’enfants, ou des ultimatums :
2012 : le dessin du vélo est barré et en énorme, 2 anneaux + un landau… Le message est clair pour ce coureur !
Bref, divertissement assuré pendant 2 km.

Je me fais marrer aussi… Certains disent « David, wunderbar ». (splendide). Et je me dis que c’est étonnant, ils connaissent mon nom, mais le prononce mal ! ; )

J’arrive au km 4. L’idée est faire le marathon sans marcher, au cardio. Et le top du top serait de tenir 5 mn/km, pour faire 3h30… Mais je n’y crois pas trop.
Le chrono indique un peu plus de 18 min… Et en respectant la contrainte cardio. Trop bon. C’est plus rapide que 3h30.
On ne s’enflamme pas. Je viens de faire un 1/10 de la distance, seulement. On calme le jeu, on laisse filer les bourrins. On les ramassera plus tard.
J’arrive au canal. Beaucoup de monde, sono à fond, c’est soirée techno ou quoi ?
Je pars sur la gauche. En avant pour un aller retour vers le nord, le long du canal. Des ravitaillements tous les 2 km.

C’est une ligne droite, interminable. Je croise ceux qui ont 10 km d’avance (ça calme). Notamment la seconde & troisième féminine. Cela distrait un peu.
Le « quotidien » est ici moins varié : canal à droite, forêt à gauche en contre bas, et le chemin. Piste en gravier blanc, bien tassé. Pas d’ombre. La monotonie est interrompue tous les 2 km par le ravitaillement. Eau, coca, boisson énergétique, gel, biscuits, banane, … autant de choix possibles en plus d’éponges mouillées fournies aux coureurs.
Je prends de l’eau, voire de la boisson énergétique à chaque fois. Idem pour les éponges. Je les cale sous le maillot, sur les pectoraux. Le temps d’arriver au ravito suivant et elles sont sèches. Mais au moins, je n’ai pas le sentiment de fondre au soleil.

Un coup sur deux, j’anticipe le ravitaillement par un peu de gel que j’ai en poche. Je prends alors uniquement de l’eau, pour diluer ce sucre, synonyme d’énergie. Tout cela sans m’arrêter. A la volée.
Et toujours sous le contrôle permanent du cardio. 140, parfois encore 142, mais cela est rare maintenant.

Le rythme est bon, la foulée s’est déliée. Je suis à l’aise.
Un peu agacé par les gens qui suivent coureurs en VTT. Ils sont en lisière de foret, ils ne me gênent pas en fait. Mais ça m’irrite…

Je fais le yo-yo avec un gars de Colmar. Il court plus vite que moi, mais marche pendant les ravitaillements. Du coup, on se parle un peu. Mais le débit est bien inférieur que sur le vélo. La course à pieds sollicite plus que le vélo.

Je croise Eric. Il a l’air en pleine forme !

Le train-train reprend. Je découvre une partie du parcours que nous n’avons pas reconnu avant le départ. Une belle descente s’annonce – ce qui veut dire une belle montée au retour. Et certain marchent…

Le panneau 10 km – je n’ai pas regardé le chrono depuis 6 km, histoire de me focaliser uniquement sur le cardio.
49 mn 45 sec.
Alors que j’avais 90 secondes d’avance à 4 km, je suis maintenant tout juste dans les temps. Ca veut dire que j’ai ramassé.
Rien de dramatique.

Je descends la pente.

Est-ce l’information du chrono, ou les secousses de la pente ? Je ne sais pas mais de nouveau, j’ai le bide qui coince. Ballonnements, envie d’aller à la selle… Je crains que si j’y retourne, ce ne soit le début de la fin.
Je passe des toilettes, sans m’y arrêter.

Ravitaillement, eau et boisson énergétique. L’eau passe, un peu. Par contre, je recrache la boisson, sans le contrôler. Ca ne passe plus.
Pas bon signe.
Ca brasse le ventre d’avantage. Je prends l’option de m’arrêter aux toilettes. Encore un peu de délestage. Et ça repart.

Je n’ai qu’une envie maintenant, c’est le demi-tour. Où sont les demi-tours ? En effet, il y a en 2.
J’arrive dans un village, dans un état pas terrible maintenant. J’ai l’impression d’être en mode survie. C’est arrivé d’un coup.
Ceux qui repartent du village ont droit à de la pastèque. C’te veine ! J’en prendrai bien un bout. Au moins, ça, ça doit passer.

Virage à droite. Notre retour en ville est synonyme de bitume. Cela semble particulier brutal, dur comme surface. Bref, je ne passe pas un bon moment.
Je me fais déposer par mes compagnons.

Comment vais-je faire ? Je suis à la dérive, j’ai mal aux pattes, mais surtout, si je n’arrive plus à m’alimenter, ça va être terrible.

C’est la traversée du désert, dans la tête et dans les jambes. Je dérouille et m’écoute.
C’est le premier demi-tour.

Tant bien que mal, j’arrive au ravitaillement suivant. Je me résolu à marcher pour boire et m’alimenter. Je marche comme un pantin, tellement j’ai mal.
Eau et eau cette fois-ci.
Même cela, j’ai du mal.

Je continue vers le second demi-tour du village.
Un tocard, c’est ce que je suis actuellement. Pas cool. Inutile de chercher à savoir pourquoi. Je pourrais trouver plein d’excuses. A quoi bon ?
Il faut que je baisse de régime, et prenne le temps aux ravito. C’est le mode survie.

Petite montée vers le ½ tour. Trop dur. J’ai les cannes qui piquent !
On redescend. Je ne parle plus. Le masque est là.

Virage à droite, c’est la sortie du village. Et surprise, il y a toujours de la pastèque, apparemment offerte par une famille ! J’en prends un morceau.
C’est bon. Trop bon.
4 pas plus loin, je recrache. Je ne peux pas avaler. Ca me donne envie de vomir. Je suis en train de me retourner l’estomac. Il faut que je reste avec du basique.
Les panneaux km semblent être beaucoup plus espacés qu’auparavant. Ils le sont au moins en temps !
Je vois sortir une fille des toilettes, juste devant moi. Elle m’avait doublé un peu plus tôt. Il semble que je ne sois pas le seul à avoir des problèmes de plomberie…

La montée… Ben, bien qu’en vrac, elle se fait, sans trop de problème. Je craignais devoir marcher, comme ceux que j’avais vus en descendant plus tôt. Retour sur le plat, la réalité est toujours la même.

Ravitaillement. Chaque fois que je passe à la marche, j’ai l’impression d’être désarticulé. Les jambes ne fonctionnent plus comme elles le devraient. J’aurai une place au Ministère du « Funny Walk » (cf. Monty Pithon)…
Je prends de l’eau et tente le coca. Même punition, c’est à vomir.

J’ai du mal, mais je me force à encourager les Français que je croise. Au moins, ça m’occupe, et ça doit leur faire du bien aussi.

Je me tire la bourre avec une péniche. Je perds…

Un coup de sifflet derrière !? Je me retourne et comprends. C’est un vélo suiveur. Il accompagne un français, Stéphane. Il est en fauteuil roulant.
Il envoie grave. Et le pire, c’est que pour doubler, il passe au milieu. Sur les graviers, non tassés. La poussette sur les graviers, ça vous parle ? Et bien Stéphane, pour doubler les chicanes mobiles comme moi, doit y aller. Vu son allure, il va faire au moins la moitié de son marathon au milieu. « Allez Stéphane ! ».

Je réalise que cela fait un moment que je n’ai rien avalé de calorique. Je décide donc de commencer à marcher 100m avant le ravitaillement, cela me calmera le ventre, et je prendrai un peu de gel, avant l’eau. Sinon, je vais être sur la réserve. Et panne sèche sur le marathon, c’est vilain.

Noble cause. Mais la reprise de la course est de plus en plus difficile. Mais je ne veux pas faire Vendôme, où j’avais marché pendant 1hr. Je dois courir.
Un par un, espacé d’une éternité, les km passent.
Guillaume me repère (grâce au maillot du club). On se fait coucou.
J’ai perdu mon gars de Colmar depuis belle lurette. L’allemand des premiers km est loin aussi.
On croise aussi des gars qui envoient COMME des BETES ! Ils sont frais comme des gardons : ils ne font « que » le marathon car en relais. Certaines filles aussi sont impressionnantes.
Je « ramasse » la fille des toilettes. Une américaine. Elle marchait. Je lui dis de reprendre et elle le fait. Et me double ! Ca m’apprendra !

Je vois au loin le repère qui signifie je reviens au point de départ le long du canal. Il semble que cela m’amène à la mi-course. J’en suis à 19km, il doit en rester 2 avant de poursuivre vers le sud pour une boucle similaire. Elle doit être plus courte puisqu’il restera 6 km quand je quitterai ce canal.
Je suis content, j’arrive encore à faire du calcul mental.

Il me tarde de passer ce point, j’espère y voir Olivier que j’ai raté en rejoignant le canal. J’ai besoin de ça pour le moral. Lui dire comment je dérouille… Besoin de partager le fardeau.
J’y suis presque.
Il y a du monde. Ca redonne du jus. A peine. Ravitaillement, au ralenti. Toujours.

Je sers les dents et repars.

Je vois 2 panneaux en anglais. L’un d’eux dit « Pain is temporary ». (La douleur est temporaire). Ca me fait sourire. D’un coté, j’ai envie de leur dire de prendre ma place, pour voir « la douleur ». Et de l’autre, c’est tellement vrai. Il y a un après. Il faut que je change de mode de pensée…
En me rapprochant, je réalise que c’est la sœur et l’épouse d’Alex. Le grec de Tokyo. A coté d’elles, un gars lit mon nom : Go David ! Sourire, j’ai du mal à faire plus. Mais, mais c’est Ben. Un Néerlandais qui habitait à Tokyo. Incroyable. « Ben ! ».
Voilà une conversation exceptionnelle… Mais qu’est-ce que c’est bon de voir du monde quand on dérouille.
Pas vraiment plus rapide, mais avec un esprit plus positif, je pars vers le sud. Peu importe, si je suis à la rue, je commence à sentir les effets d’avoir repris un peu de gel.

Le jeu des éponges est systématique. Je les jette une fois que je vois que les volontaires, toujours aussi sympas et dynamiques, en ont des mouillées. On est proche de la pénurie par endroit. Les jeunes ramassent celles jetées par les coureurs, pour les recycler. J’espère que personne ne boit avec !

Je croise Eric ! Youpi. Mais il a l’air au charbon. Une autre tête que quand je l’ai vu il y a plus d’une heure.
Cela m’inquiète. Il était bien et maintenant fait la grimace. Comment fais-je être ? Il en est au km 33. Moi, 24… Je tente un calcul vs. notre premier croisement. Il semble que je n’ai pas perdu de terrain, ou peu. Aie pour lui.

Toujours le même canal, vers le sud. Je dois passer sous un pont, aller 2 km plus loin, virer à droite pour revenir sur le pont en passant dans la forêt. C’est le secteur que nous avions couru jeudi soir. Après le pont, demi-tour, et c’est la remontée vers le finish.
Je me dis que le km 33, où j’ai croisé Eric, est un bon point de repère pour signifier que j’y suis presque… Jusque là, il faut s’accrocher.

Allez Thierry, Allez Pascal… Je continue à encourager. C’est un moyen de se détacher de la douleur.
Je n’anticipe plus la marche avant les ravitaillements. Il semble que je peux de nouveau avaler, même si j’ai parfois des renvois qui me rappellent que je n’ai pas temps de marge que cela.
Aller plus vite, outre le fait que je n’en suis pas capable, serait néfaste pour ma capacité à absorber les calories que je tente d’avaler.

J’aperçois le pont. Encore 2 km avant d’attaquer la boucle.
Km après km, j’avance. Je suis passé sous le pont et ai fait les 2 km tant bien que mal.
Le virage vers la forêt est en fait plus tôt que ce que l’on avait anticipé : c’est PLUS COURT que prévu ! Youpi !
Par contre, le terrain n’est ici pas stabilisé et c’est vraiment dur de garder une forme raisonnable. La foulée ne ressemble plus à grand-chose.
Les gens sont au bar, bière à la main, ils encouragent.
Musique techno, ravitaillement, on part dans la forêt.

C’est légèrement descendant, ça « roule » à peu près.
Par contre, dès qu’on en sort, c’est le bitume. Et là, c’est dur.
Je n’avais jamais noté un tel écart avec le revêtement.
C’est bien la route que nous avions emprunté mais je ne reconnais pas. Plus de monde ou simple la tête ramollie ?
Certains ont mis une bassine d’eau devant chez eux. On peut ainsi recharger les éponges d’eau.
J’arrive à conserver le maillot mouillé et ne souffre pas trop de la chaleur. Même si nous sommes revenus en plein soleil.

Ravitaillement. De mémoire, il y en un au demi-tour, soit encore 2 km avant de remonter le long du canal. Ca sent presque bon…
Mais en attendant, je rejoins le fameux pont. Et ça monte… Ce n’est pas glorieux !
Un gars sur le coté m’interpelle « shun tricot ». Ha, le maillot du club !
Re-musique techno ou du rock, je ne sais plus. Je fais l’andouille devant les gens qui dansent sur le coté.
Je vois le demi-tour. C’est un soulagement, même si cela ne donne pas plus de jus.
Je repars.

Je croise la scandinave avec qui j’avais terminé le vélo. Je l’avais perdue de vue à la transition (passage aux toilettes). Elle marche et n’a pas l’air en grande forme.

Le bitume fait mal, je n’arrive pas à relancer. Je m’alimente à peu près normalement maintenant, même si c’est toujours en marchant. Et reprendre la course après n’est plus aussi pénible.
Mais mon allure n’est pas meilleure, j’en ai la certitude.

Je vois Vanessa, l’australienne de Tokyo. Obligé d’hurler pour qu’elle m’entende… Elle a les écouteurs sur les oreilles. Elle a l’air de cravacher…
J’estime avoir 3 à 4 km d’avance. Et elle sait courir (elle avait couru plus vite que son mari lors de leur dernière course… 1’32 au semi dans un triathlon !).
Bref, j’ai du souci à me faire. Elle est néanmoins partie 15 mn avant moi ce matin.
J’ai 14 km à faire. Si elle me double, il ne faut pas qu’elle puisse me griller de plus de 15mn. C’est maintenant l’objectif.

Du coup, cela me remet en ligne. L’écart est sans doute infime, mais je visse et optimise les ravitaillements. Je me refocalise sur la technique.
De plus, tout doucement, je double certaines personnes.

Retour dans la forêt, faux plat montant cette fois. C’est dur. Mais du bon dur. Je ne subis plus (autant).
Je suis impressionné, je fais le yoyo encore mais avec un monsieur qui ne doit pas être loin des 60 ans… Il court vite, et marche, vs. moi qui suis en 1ere, en petite vitesse régulière.

Je fais un effort pour avaler un peu plus au ravito, tente de profiter d’une des seules descentes pour gagner en vitesse. C’est pas gagné.
Virage à gauche, re le bar festif, talus pour rejoindre la rive du canal et remonter vers le finish. J’aime cette idée !

Je ne sais pas si Vanessa va bientôt me rattraper mais j’ai remonté l’intensité d’un poil.
Je plains tous les gens que je croise. C’est long ce qu’ils ont à faire. Sachant qu’il me reste 10 km maintenant.

Puis 9 km. 9 km, c’est la distance maison-travail. Distance que j’ai faite à maintes reprises. 45 mn, c’était un temps tout à fait moyen pour ce trajet. Mais je sais bien que j’en suis loin aujourd’hui. Je colle mentalement le parcours habituel aux bornes kilométriques, histoire de me dire qu’il ne reste plus grand-chose (on se ment comme on peut).
J’ai regardé le temps km 30. Un peu en dessous de 3hr. Vs un 2h30 objectif, je suis effectivement à l’ouest. Mais cela est accepté. Mais je me fixe de passer les 40 km en moins de 4 hr. Et de finir au taquet, vu la piètre prestation sur 40 km, je peux (dois) m’allumer sur les 2 derniers km.
Et puis, je m’interroge sur ma capacité à suivre Vanessa si elle me passe.

Ces réflexions m’occupent l’esprit et je passe les 33 km. Point où j’avais croisé Eric, au visage marqué. Je n’ai pas l’impression d’être pire que quand je l’ai croisé. Mais pas mieux non plus.
En tout cas, je visse. Toujours aussi lent, mais je donne.

Encore un effort sur la nutrition, c’est toujours aussi tangent d’avaler, de boire mais j’en ai besoin pour finir de façon potable.
Je passe mon pote allemand du tout début de course à pieds. Il marche en parlant avec un gars. Tape sur la fesse, je l’encourage.

Le supporter du pont est apparemment descendu le long du canal. Je le reconnais et l’interpelle sur le maillot coloré (jaune fluo / rose fluo / rouge et blanc).
Il répond, bien sûr et encourage. Grand sourire.

De même, je repère mon copain de vélo, l’allemand costaud. Il descend, je remonte vers le finish. On parle de hot-dog. Il ne réagit pas de suite. Il a l’air d’y être profond…
Savoir que beaucoup d’autres souffrent rassure, on n’est pas seul dans cette situation.
Et puis je repense au panneau de mi-course « pain is temporary ».

35, bientôt 36km… Et pas de Vanessa. Est-ce que je vais même arriver à éviter d’être repris ?
J’en remets une couche (légère) dès que je quitte le canal. Il me reste 6 km. Dont 4 pour atteindre les 40km. J’ai regardé le chrono à 35 km 3h27. C’est donc jouable de faire moins de 4hr au 40.

C’est la bifurcation.
Ravitaillement, je me force. Je marche, mais rapidement, et uniquement quand j’ai un verre à la main.
C’est reparti.
Et sur le bitume. C’est dur, mais c’est ainsi pour tout le monde.

J’ai mal au cœur, pour les gens que je croise : ils entament seulement le marathon. Ce va être une longue soirée pour eux. Et ils n’ont pas l’air au mieux.
Je n’arrive plus à parler, j’applaudie.

Je rattrape plus que je ne me fais rattraper. Je me dis qu’avec tout le sport que je me suis enfilé, s’il y en a un qui doit avoir de l’endurance, c’est moi. De même, s’il y en a un qui peut encaisser la douleur, c’est moi (cf. les entrainements à Font-Romeu en sport-étude).
Bref, ça charbonne et il faut encaisser.

Le ciel est couvert. Belle petite montée. Je bouffe du monde, en douleur, mais ça le fait. Il doit rester à peine plus de 2 km… Il faut donner.
Je n’ai pas croisé Guillaume dans la remontée du canal, je réalise. Il a dû prendre cher.

40 km, 3h55 ! Yes, moins de 4hr. Mais dommage, même à fond, je ne pourrai faire moins de 4 hr au marathon. Peu importe. Je m’exécute. J’ai dit les 2 derniers km à bloc.

Retour en ville. Le bitume ne fait plus mal. Je passe à l’eau uniquement, sans m’arrêter maintenant. C’est comme au début.
Une boucle vers le centre ville. Je reconnais vaguement le parcours mais admets ne plus avoir tous les sens disponibles.

Je cours à coté d’un anglais ou américain. Il est encouragé par sa sœur & sa fiancée ou épouse. Elles courent avec nous en fait.
Je leur dis que ce n’est pas très sympa de faire cela… Elles répondent qu’elles vont m’encourager aussi. Ce n’est pas ça qui n’est pas sympa, c’est le fait qu’elles courent avec nous en claquette qui est dommageable pour le moral !! Pas très valorisant pour l’effort que l’on fournit. ; )
Elles comprennent que c’est une boucle, aussi elles décrochent et vont attendre le gars au retour.

En attendant, je le « dépose ». Et me tire la bourre avec un espagnol fusée et un allemand.
C’est le vieux Roth. Ca descend, rue étroite, c’est assez désert. Mais il y a une sono pas loin.

 Au détour d’un virage, je débouche sur une place, blindée de monde. On ne peut pas se tromper : le parcours est délimité par des tables, de part et d’autre du tracé. Les tables sont couvertes de bières et autres mets germaniques. Les gens sont attablés et hurlent. Il n’y a pas d’autre mot. C’est dingue.

C’est sur du pavé. Et le pavé, c’est dur.
L’ambiance me fait monter les larmes aux yeux.
Je tape dans les mains des enfants qui la tendent.

La boucle se referme, je repars, en montant, vers la finish line.
A bloc, ou pas loin.

Mais où est le km 41 ? L’espagnol est parti, j’ai encore quelques « clients » à traiter d’ici au finish. Il faut que je sache combien il reste.
Ligne droite vers le virage de la voie ferrée, je vois où je suis. C’est le panneau 41km.
J’ouvre tout ce que je peux. En ligne de mire, quelques gars devant. Je vire les éponges, referme le maillot, pour la photo (un vrai pro !)
Petit à petit, j’en gratte. Y a mal.
Virage à droite, plein de monde. Trop cool. Toujours à fond.
Voie ferrée, puis re-virage à droite. J’en remets une couche.
C’est la dernière ligne droite, vers le village et le finish. Toujours à bloc. Pas là pour rigoler.
Encore quelques dépassements.

J’arrive, enfin, sur le tapis rouge. On a un demi-cercle à faire devant le publique, qui hurle. La musique est forte. Le gars devant s’arrête presque, il salue sa famille. Je lui propose d’y aller. Il s’arrête.
Le tapis est tout mou, c’est comme courir sur du sable, c’est difficile.
Je me retrouve juste derrière l’espagnol. Il court avec sa copine pour la photo finish.
Je reste derrière, c’est fini.

J’enlève casquette & lunettes, je passe le portique chronométrique, en douleur. Content de finir, content du temps final (un surprenant 10h25), déçu de ma course à pieds. Mais surtout épuisé.
Je dois m’accroupir. Je tombe sur le coté, ferme les yeux, j’en peux plus.
J’entends, au loin « David, ça va ? » Une voix me parle, en français. C’est une volontaire, la médaille à la main. Je me relève difficilement, elle me passe la médaille autour du cou. Je rejoins Olivier que j’ai vu en passant sous le portique.
Je pleure comme une madeleine, lui dis combien j’en ai chié en course à pieds (pas dû lui dire grand-chose d’autre).
Je pars pour prendre une bière, une douche, un massage et attendre Guillaume. Je croise Benjamin, on échange sur la course. Il a bien marché. 8h27.




Eric, que je retrouve plus tard, a fait à peine plus de 10h. Après une bonne natation, il a cassé le câble de son dérailleur. Il s’est retrouvé avec seulement 2 vitesses (la plus dure avec le grand plateau, et une moyenne, avec le petit plateau). Malgré cela, il a fait 4h59 en vélo, et 4h en course à pieds, cuisses explosées par le vélo…


Guillaume a bien géré sa course, sa première sur la distance, en finissant sous l’orage et des seaux d’eau. Les 3 épreuves gérées rigoureusement, il a bouclé le tout en 12h.